Environ 3 500 €. C’est le prix d’un passage clandestin vers la Grande-Bretagne depuis la France à bord d’un mauvais pneumatique surchargé. Dans la nuit du 14 au 15 novembre 2022, ils sont 41 migrants sur l’une de ces embarcations et 49 sur une autre, dans deux zones différentes près de Dunkerque. Soit un « chiffre d’affaires » de 315 000 € pour les passeurs peu scrupuleux, ce qui devrait pourtant être assez pour fournir des navires en quantité suffisante… Mais là n’est pas leur préoccupation. Qu’importent un moteur à bout de souffle, un réservoir à peine rempli, des boudins pneumatiques aux tissus usés, prêts à lâcher sous les effets de la surcharge de passagers et de l’état de la mer… Venus d’Afrique, du Moyen-Orient et de plus loin encore, leurs clients sont milliers : plus de 45 000 auraient réussi la traversée en 2022, selon les autorités britanniques.
Ce 14 novembre 2022, à 16 heures, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) du cap Gris-Nez est alerté par un appel du SAMU : par suite d’une avarie de propulsion, 41 migrants sont en dérive devant la plage de Leffrinckoucke, à l’est de Dunkerque. Là même où a été menée l’évacuation historique de 338 000 combattants anglais et français en 1940. Le patrouilleur des Douanes DF P1 Jacques Oudart Fourmentin est immédiatement engagé. Pas sûr que cette belle unité de 43,3 mètres de long puisse s’approcher des migrants en perdition. Elle cale 3 mètres ; or la zone est encombrée de bancs de sable et moulières.
Recherches difficiles en plein brouillard
Le CROSS mobilise donc un second moyen : le semi-rigide SNS 5911 Jean-Paul Legars, de la station SNSM de Dunkerque. Son tirant d’eau est insignifiant, son emport relatif. Mais il peut se faufiler dans ce secteur difficile. Il a toutefois besoin de l’appui du sémaphore local car sa cartographie numérique vient de tomber en panne. Sur zone, les deux moyens demandent du renfort. Ce sera la vedette de deuxième classe SNS 276 Notre-Dame-des-Flandres, de Gravelines Grand-Fort-Philippe, puisque le canot tous temps SNS 087 de Dunkerque est au radoub, indisponible. Dans le brouillard dense qui s’est installé, à la nuit tombée, le semi-rigide Jean-Paul Legars assure des navettes entre le pneumatique des migrants et le bâtiment des Douanes. Une manœuvre périlleuse au milieu des moulières – des câbles tendus dans l’eau pour la culture des bivalves. C’est la moitié des naufragés qu’il réussit à transférer. Au contact, la SNS 276 transborde les autres. Tous seront remis par les douaniers aux pompiers et policiers de Dunkerque.
Fin de mission ? Pas pour les bénévoles de Gravelines. Le CROSS les sollicite immédiatement sur un second sauvetage : 49 autres migrants sont en difficulté à bord d’un pneumatique qui prend l’eau. Il a été signalé dès 17 heures par l’association Utopia 561. Les liaisons du CROSS avec l’embarcation de fortune sont difficiles. Utopia 56 les facilitera et permettra de trouver la bonne zone de recherches, alors que les bénévoles sont pris dans un épais brouillard.
À 19 h 45, le contact est établi. Généreux, le Lida Suzanna, un chalutier sous pavillon irlandais, se détourne de sa route. Il n’aura pas à intervenir car la tenace SNS 276 de Gravelines vient juste de localiser le pneumatique en perdition. Les bénévoles embarquent d’abord les naufragés les plus fébriles : quatre femmes – dont deux sont enceintes – et un enfant. Venu à la rescousse, le canot tous temps SNS 077 Notre-Dame-du-Risban de la station SNSM de Calais, après une heure de navigation, embarque 33 migrants, les 16 autres passant ensuite sur la SNS 276. Cap sur Dunkerque pour les deux unités de la SNSM et leurs 49 rescapés transis. Même dispositif d’accueil : ambulances, pompiers et policiers.
À 23 h 05, l’équipage de la SNS 276 est de retour à terre. Après plus de sept heures d’intervention. Un engagement que le vice-amiral d’escadre Marc Véran, préfet maritime Manche - Mer du Nord, saluera d’une très officielle lettre de félicitations : « persévérance », « sens du devoir sans faille », « endurance remarquable », ses mots choisis font chaud au cœur. D’autant que les canots SNSM multiplient les interventions en faveur des migrants. Ce qui use autant les bénévoles que les moyens qui vieillissent : le SNS 077 Notre-Dame du Risban aura 30 ans cette année…
Nos sauveteurs sont formés et entraînés pour effectuer ce type de sauvetage. Grâce à votre soutien, vous les aidez à être présents la prochaine fois !
Article rédigé par Patrick Moreau, diffusé dans le magazine Sauvetage n°163 (1er trimestre 2023).
1 Forte de 18 000 membres donateurs, l’association Utopia 56 s’investit depuis 2015 auprès des exilés.